Gaston Rébuffat est né à Marseille, le 7 mai 1921, dans une famille bourgeoise peu fortunée. Il débute l'escalade dans les Calanques toutes proches ; à 16 ans, il s'inscrit au CAF (Club Alpin Français), section Haute-Provence avec lequel il va découvrir la haute montagne. Il fait la connaissance d'Henri Moulin ("mon grand frère de l'alpinisme" ), et s’en va arpenter les Alpes et le massif du Mont-Blanc, ("mon jardin de jeux " ), qu’il rejoint la première fois à pied du Midi à Chamonix !
En 1940, il s'engage à Jeunesse et Montagne (J&M), où il tombe amoureux d’un univers, insolite et lumineux, qui exacerbe sa passion des montagnes. Il écrira : "Dans leur nudité absolue, dans leur pauvreté extrême et leur beauté mystérieuse, les dômes de glace et les flèches de granit ne sont là pour rien d'autre que le bonheur des hommes ". Ses instructeurs, tous de grande qualité, découvrent, eux, un alpiniste prometteur. Les archives de Jeunesse et Montagne en attestent. André Tournier : " Rébuffat a de grandes qualités de montagnard. Il sera un très bon guide et a un avenir très grand dans cette carrière " ; Armand Charlet : "Rébuffat montre de remarquables qualités de grimpeur de rocher " ; Marcel Bozon : "Bon instructeur et bon démonstrateur, Rébuffat a vraiment l’esprit du métier de guide par son calme, sa prudence et une technique digne d’éloge tant en glace qu’en rocher ". À J&M, le Marseillais se lie d’amitié avec un Grenoblois au caractère rustique et déterminé, Lionel Terray, déjà installé à Chamonix. Gaston joue les apprentis paysans et travaille dans la ferme qu’exploite l’ami Terray. En 1942, malgré son jeune âge (21 ans alors que l'âge requis est de 23 ans), il réussit son brevet de guide. Son rêve de gosse devient réalité !
Tout en réussissant quelques premières et ascensions d’envergure, il exerce avec passion son métier à l'École Militaire de Haute Montagne (EHM) (depuis 1966, École Militaire de Haute Montagne : EMHM), à l'École Nationale de Ski et d'Alpinisme (ENSA) et, à partir de juin 1945, au sein de la prestigieuse Compagnie des guides de Chamonix qu’il intègre malgré son statut d’"étranger" ! Alfred Couttet et ses pairs lui trouvent une "bonne moralité". Rébuffat dit alors : "Il me sembla devenir tout à fait le capitaine de mon existence ". Partout où il passe, il impressionne. Edouard Frendo, directeur technique de l’ENSA dit de lui : "Rébuffat s’est fait remarquer en toutes circonstances, exercices d’escalade ou ascensions, par son sens pédagogique développé, sa prudence raisonnée, son ardeur au travail et son autorité : il a de plus fait preuve d’un excellent esprit de discipline et de dévouement (…) J’ai pu apprécier par moi-même les éminentes qualités de grimpeur de Rébuffat qui, alliées à une audace réfléchie et à une modestie des plus louables, servie par une technique des plus modernes, laissent prévoir que ce jeune guide verra s’ouvrir devant lui une carrière particulièrement brillante dont s’enorgueillira un jour l’alpinisme français." (Archives ENSA). Bien vu !
Considéré à juste titre comme l’un des meilleurs alpinistes de sa génération, Gaston Rébuffat est sélectionné dans l’expédition nationale, mise sur pied par Lucien Devies et Maurice Herzog, qui part à l’assaut du premier 8000. Il y a là Terray, Couzy, Lachenal, Schatz… On connaît l’histoire. Après avoir imaginé gravir le Dhaulagiri, l’expédition s’attaque à l’Annapurna. Rébuffat écrit à son épouse : "La voie que nous avons trouvée est comparable à la voie normale du mont Blanc. (…) Tu ne peux t’imaginer, ma Françoise, combien je suis content qu’après plus d’un mois de reconnaissance sur ce massif inconnu, nous ayons enfin trouvé la clé du problème : cette voie rationnelle et sans aucun danger. Les sherpas pourront aller jusqu’au sommet, de sorte que nous serons peu chargés et que nous avons toutes les chances de réussir sans trop de peine. Je suis toujours en bonne santé, la haute altitude ne me gêne nullement (…). Avec Lachenal, je m’entends très bien, nous sommes très prudents. C’est vraiment pas difficile." (Archives Françoise Rébuffat). C’est la cordée Herzog-Lachenal qui atteint le sommet. Le premier 8000 de l’histoire. Le retour est dramatique. Terray et Rébuffat se dévouent alors avec une abnégation sans limites pour ramener vivant les vainqueurs, épuisés, meurtris, gelés. Comme Lachenal, qui n’a jamais lâché Herzog, animé d’une détermination quasi mystique et poussé par un patriotisme exacerbé, ils ont juste fait leur métier : guide. Maurice Herzog, héros amputé et triomphant, récolte une gloire planétaire et tire à lui la couverture des grands magazines, dont Paris-Match. Rébuffat, qui n’a pas aimé ce style d’alpinisme fait d’attentes, de marches éreintantes, de progressions rébarbatives, de luttes d’égos, n’apprécie pas (euphémisme) cette "exploitation de l’exploit ".
Dégouté, aussi bien par l’alpinisme de conquête (il avoue s’être beaucoup ennuyé à l’Annapurna) que par l’avidité de gloire de certains, il choisit alors de se consacrer à ce qui va dès lors animer toutes ses actions : faire partager sa passion pour la montagne et pour le massif du Mont-Blanc. Parallèlement à son activité de guide à la Compagnie de Chamonix, à laquelle il est si fier d’appartenir, il se consacre à la photographie, au cinéma et à l’écriture ; sans y prendre garde, il travaille son look (coupe en brosse, pull et bas jacquard, pipe) et devient le barde d’une montagne colorée de bons sentiments : "La haute montagne, écrit-il ou répète-t-il de son ton trainant et emphatique, est belle, mais sa première vertu est celle d’être le terrain de l’amitié". Il publie une vingtaine de livres, tourne quatre films, participe à maintes émissions de télévision, multiplie les conférences, et devient un personnage "mythique" du monde de la montagne, le chantre inspiré et lyrique d’un alpinisme nature et sans souffrance, le symbole vivant du plus beau des métiers : "Le guide ne grimpe pas pour lui : il ouvre les portes de ses montagnes, comme le jardinier les grilles de son jardin". Gaston se veut poète aussi ; il cisèle quelques aphorismes restés célèbres : "Pour bien voir, il ne suffit pas d’ouvrir les yeux, il faut d’abord ouvrir son cœur" ; "L'alpiniste est un homme qui conduit son corps là où, un jour, ses yeux ont regardé..." ; "Dans leur stérilité, les montagnes sont seulement faites pour notre bonheur. Car l'homme ne se nourrit pas que de blé, de pétrole et d'acier. Il doit aussi nourrir son cœur". Son image et ses images font le tour du monde. À tel point que la NASA va choisir une des plus spectaculaires (Gaston debout sur la pointe effilée de l’aiguille de Roc) pour l’envoyer dans la navette spatiale Voyager partie à la rencontre d’éventuels extra-terrestres et qui "tourne" toujours hors du système solaire. C’est ainsi que Gaston Rébuffat, personnalité clivante, esprit imaginatif, perfectionniste, rigoureux, responsable, scrupuleux et exigeant, pas forcément marrant, indépendant de nature et travailleur, s’est fait une place à part dans le monde rugueux et fier-à-bras de l’alpinisme de haut niveau. Comme l’a écrit Sylvain Jouty : "Son sujet ce n’est pas lui encore moins son palmarès, c’est la montagne, c’est l’alpinisme".
Seule la maladie pouvait avoir raison de sa robustesse et de son énergie créatrice. Il va l’accepter avec une dignité admirable et un courage impressionnant. Le cancer est devenu son nouveau combat, intime et public, mené à ciel ouvert, avec l’indispensable Françoise à ses cotés : "Après cinq années de lutte pour tenter de vaincre ce cancer qui le détruisait et dont il avait compris qu'il n’en viendrait pas à bout, racontait-elle, un matin j'ai senti qu’il venait peut-être de faire le pas le plus difficile de son existence : se rendre à la Compagnie des Guides pour demander d'être rayé de la liste des guides actifs. Depuis combien de temps cette décision traînait-elle dans sa tête ? Elle devait le harceler. Cette démarche signifiait déjà la mort, une première mort. À son retour, j'avais deviné, nous n'avons rien échangé, surtout pas un regard ; l'intensité émotionnelle de ce geste accompli nous imposait le silence." (1) Gaston Rébuffat est parti un vendredi de mai 1985. À 64 ans, il était allé au bout de la maladie, en souffrant en silence de ne plus vivre la montagne : "Ne plus être un vrai guide, ne plus sentir l'odeur du granite, ne plus avoir froid, ne plus avoir soif, ne plus croiser les autres en refuge !".
(1) Le monde de Gaston , Gilles Chappaz, Denis Steinberg, Seven Doc / Médeo / France 3 Rhône-Alpes Auvergne, 2009
Gaston Rébuffat présente le massif des Calanques, près de Marseille, sa ville de naissance. En compagnie d'Edwin Mathews, il se rend vers la barre des Ecrins. Âgé de 14 ans à peine, il a traversé le Glacier blanc, premier glacier qu'il a connu et traversé à une époque où il rêvait de l'ascension des Écrins. Arrivés au refuge, les hommes sont chaleureusement accueillis par son gardien. Après quelques heures de repos, Gaston et Edwin reprennent leur route, au cœur de la nuit. Lyrique, Rébuffat évoque ces paysages qui sont comme autant de fêtes. <br />
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Résumé du film<br />
Le guide Gaston Rébuffat, nous fait partager son regard sur son métier et sur la nature qui l'entoure en nous faisant découvrir quelques belles ascensions effectuées avec des amis, notant l'importance de l'amitié de la cordée. Né près des Calanques, il aurait pu être marin. Nous le suivons avec Edwin Mattews (USA) dans leur ascension de la Barre des Ecrins, puis dans la Meije ( Face sud du Grand Pic, les arêtes par la brèche Zsigmondy, le Pic Zsigmondy, le Doigt de Dieu, ou Pic Central). Accompagné de Jean Juge (Suisse), dans le massif du Mont-Blanc, pour une traversée des Aiguilles de Chamonix (Sommet sud de l'Aiguille du Midi, Aiguille du Plan, Dent du Crocodile, Dent du Caïman, Aiguille du Fou, Col de Blaitière, pointe Lépinay, Aiguille de Blaitière, Aiguille du Fou, le Grépon). Avec son ami italien Lino Donvito, il escalade la Torre de Vijolet dans les Dolomites. Puis, avec Massulu Suzuki (Japon), dans le massif du Mont-Blanc (Arêtes de Rochefort, Dent du Géant par la face sud). Christian Ringeval (France) l'accompagne pour une ascension du Vignemale. Enfin, voilà Gaston Rébuffat de retour dans le massif du Mont-Blanc, au Grand Capucin (itinéraire Bonatti) avec Konrad Krirch (Allemagne).
- Année
- 1974
- Réalisateur(s)
- Gaston REBUFFAT
- Cameraman
- René VERNADET